Proche-Orient
L'impossible mission d'Ahmed Qoreï
Yasser Arafat a confié à Ahmed Qoreï la charge de former
le gouvernement. Ce dernier a accepté, mais il y met des conditions.
Cela ne pouvait être un autre. Après que Mahmoud Abbas eut jeté
l’éponge, le seul choix que pouvait faire Arafat pour lui succéder
était Ahmed Qoreï, qui préside le Conseil législatif
(Parlement). Après Abou Mazen, Abou Ala, pour reprendre leurs noms de
guerre respectifs. Deux vétérans du Fatah. Deux dirigeants palestiniens
artisans des accords d’Oslo. Deux responsables engagés dans des
pourparlers constructifs, et parfois amicaux, avec les Israéliens. Mais
deux dirigeants sans charisme ni base populaire en Palestine, deux anciens exilés
de Tunis, où ils ont accompagné Arafat après son départ
de Beyrouth en 1983. Deux leaders qui ont toujours dirigé les Palestiniens
dans l’ombre de Yasser Arafat. Sa confiance est la clé de leur légitimité
aux yeux des Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza.
Autant dire qu’Ahmed Qoreï a toute chance d’être confronté
à brève échéance aux mêmes problèmes
que ceux qui ont eu raison de Mahmoud Abbas. Sa mission, s’il l’accepte,
semble insurmontable sans une active coopération de tous ceux qui ont
fait défaut à son prédécesseur, autrement dit Yasser
Arafat, Ariel Sharon et George Bush. Sinon, la feuille de route s’autodétruira
avant même que son gouvernement ait pu prêter serment.
Bien entendu, ce vieux routier de la politique qu’est Ahmed Qoreï
n’en ignore rien. C’est pourquoi, après avoir initialement
refusé le poste que lui proposait Arafat, il l’a accepté
en posant ses conditions. Mais alors que Mahmoud Abbas, dans son discours au
Conseil législatif palestinien, a blâmé à parts égales
Yasser Arafat, Israël et la communauté internationale, l’actuel
président du parlement palestinien, reprenant les termes mêmes
d’Abou Mazen, a exigé de l’Europe et des États-Unis
qu’ils soutiennent par des actes leur engagement à l’égard
de la feuille de route. Les Européens ont immédiatement apporté
leur soutien –verbal– au Premier ministre pressenti. Les Américains,
bien embarrassés après avoir autant misé sur la personne
de Mahmoud Abbas, ne peuvent pas rejeter a priori une solution qui reste acceptable,
du moins sur le papier. Quant à Israël, ses dirigeants connaissent
et, pour certains, apprécient Ahmed Qoreï.
Talents de manœuvrier politique
Cela n’est sans doute pas suffisant. Pour commencer, si le président
du Parlement palestinien s’est personnellement beaucoup engagé dans
les contacts avec Israël pour rechercher une solution pacifique, il n’a
pas, contrairement à Mahmoud Abbas, dénoncé publiquement
la militarisation de l’ Intifada . Ensuite, aux yeux des Américains
et d’Israël, ce n’était pas seulement la présence
à la tête du gouvernement de Mahmoud Abbas qui importait, mais
le fait qu’il avait confié le ministère de l’Intérieur
à Mohammed Dahlan, dont la détermination à lutter contre
les groupes armés palestiniens, notamment ceux du Hamas et du Jihad islamique.
Or, Dahlan a clairement fait savoir qu’il n’entendait pas participer
à un gouvernement que ne dirigerait pas Mahmoud Abbas. Enfin, Ahmed Qoreï
est connu pour ses talents de manœuvrier politique et son sens du compromis.
Même s’il partage les objectifs affichés par Mahmoud Abbas,
il est peu probable qu’il prenne le risque d’une crise ouverte avec
Arafat et les différentes factions palestiniennes.
En d’autre termes, Ahmed Qoreï risque bien d’apparaître
rapidement aux Israéliens comme aux Américains comme prisonnier
du président Arafat, avec lequel ils ne veulent plus rien avoir affaire.
Par conséquent, dans cette hypothèse, ils ne devraient pas tarder
à tirer les mêmes conséquences en ce qui concerne le Premier
ministre qu’il s’est choisi.
Reste que tout ceci risque fort d’apparaître bientôt secondaire
si, comme il est prévisible, le Hamas met en pratique ses promesses de
représailles après la tentative d’assassinat dont son chef
spirituel, cheikh Yassine, a été victime samedi. Nul ne doute
que le mouvement islamiste tiendra parole. La reprise massive d’attentats
anti-israéliens, qui s’accompagnerait inévitablement de nouvelles
représailles et incursions israéliennes reporterait pour longtemps
toute discussion sur la feuille de route, et même sur quelque processus
de paix que ce soit.
OLIVIER DA LAGE
08/09/2003